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Boris VIAN « Ils cassent le monde »

Boris VIAN, Poésies, « Ils cassent le monde » (Commentaire composé)

  • Boris Vian (10 mars 1920, Ville-d'Avray, prиs de Paris - 23 juin 1959, Paris) йtait un йcrivain franзais, un ingйnieur, un inventeur, un poиte, un parolier, un chanteur, un critique et un musicien de jazz (plus exactement trompettiste). Il a йgalement publiй sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, et pris d'autres pseudonymes comme Bison Ravi (anagramme de son nom). Il a йcrit 11 romans, 4 recueils de poиmes, plusieurs piиces de thйвtre, des nouvelles, de nombreuses chroniques musicales (dans la revue Jazz Hot), des scйnarios de films, des centaines de chansons, etc. le tout avec une verve qui lui est propre.
  • Dans ce long poиme, Boris Vian dйveloppe des thиmes qui lui sont chers. l'amour de la vie sous toutes ses formes et par-dessous tout, l'angoisse de la destruction par des individus brutaux et sans scrupules, la prйsence constante de la mort.
  • La coexistence apparemment paradoxale de ces divers йlйments peut s'expliquer par la connaissance de sa fin prochaine, comme par la conscience des dangers qui guettent la vie humaine.
  • Elle s'exprime ici par une tonalitй trиs ambiguл.

Ils cassent le monde
En petits morceaux
Ils cassent le monde
A coups de marteau
Mais зa m'est йgal
Ca m'est bien йgal
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Une plume bleue
Un chemin de sable
Un oiseau peureux
Il suffit que j'aime
Un brin d'herbe mince
Une goutte de rosйe
Un grillon de bois
Ils peuvent casser le monde
En petits morceaux
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
J'aurais toujours un peu d'air
Un petit filet de vie
Dans l'oeil un peu de lumiиre
Et le vent dans les orties
Et mкme, et mкme
S'ils me mettent en prison
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Cette pierre corrodйe
Ces crochets de fer
Oщ s'attarde un peu de sang
Je l'aime, je l'aime
La planche usйe de mon lit
La paillasse et le chвlit
La poussiиre de soleil
J'aime le judas qui s'ouvre
Les hommes qui sont entrйs
Qui s'avancent, qui m'emmиnent
Retrouver la vie du monde
Et retrouver la couleur
J'aime ces deux longs montants
Ce couteau triangulaire
Ces messieurs vкtus de noir
C'est ma fкte et je suis fier
Je l'aime, je l'aime
Ce panier rempli de son
Oщ je vais poser ma tкte
Oh, je l'aime pour de bon
Il suffit que j'aime
Un petit brin d'herbe bleue
Une goutte de rosйe
Un amour d'oiseau peureux
Ils cassent le monde
Avec leurs marteaux pesants
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez, mon cÑšur

Boris VIAN, Poйsies

I/ La progression dramatique

1/ Une vision de plus en plus sombre

  • Les visions qui se succиdent dans le poиme sont de plus en plus sombres.
  • Commenзant par la dйnonciation d'un gвchis absurde, l'auteur йvoque ensuite des images touchantes, fragiles et belles, de la nature. les vers 10 а 12, dont l'harmonie se dйgage d'un rythme semblable (1/2/2) reprennent des йlйments qui n'ont rien de grandiose, mais dans la simplicitй mкme est particuliиrement йmouvante.
  • Le deuxiиme groupe de vers qui reprйsentent des йlйments naturels possиde le mкme caractиre tйnu, lйger.
  • Puis, vers 21 а 24 la vision se fait de plus en plus modeste. Il ne reste plus que des йlйments essentiels. l'air, la lumiиre, le vent.
  • On assiste donc а une sorte de rйtrйcissement de l'univers, qui se concrйtise dans une deuxiиme йtape par la reprйsentation de la prison.

2/ Un monde frappant de cruautй

  • A partir de ce moment, on entre dans un monde frappant par sa cruautй. Sans jamais insister sur la notion de violence, celle-ci est partout prйsente par les allusions de dйtail.
  • Le rythme des vers s'allonge – il s'agit presque toujours d'heptasyllabes – au fur et а mesure que se dйroule le drame.
  • La longue procession qui le mиne а la mort suit un cйrйmonial prйcis. rares dans le poиme, les verbes d'action se succиdent pendant ce passage qui respecte la forme dans laquelle se dйroule une exйcution, en France.
  • Le regard glisse le long de la guillotine. Tout cela se prйsente comme une mise en scиne morbide dont l'apothйose se situe juste avant que le couperet ne tombe.
  • Enfin, tout semble dit lorsque l'auteur йvoque. « Ce panier rempli de son », symbole d'une certaine horreur.

3/ Une nouvelle fraоcheur

  • Pourtant les derniers vers donnent au poиme une nouvelle fraоcheur qui remet en question la vision cauchemardesque prйcйdente.
  • Ainsi on revient а l'atmosphиre du dйbut, faite de douceur et de tendresse.
  • Cette йvolution est rythmйe par des vers qui apparaissent comme un leitmotiv :

Ils cassent le monde

Il en reste assez pour moi
Il en reste assez, mon cÑšur

Il suffit que je l'aime

  • Leur rйpйtition, en particulier au dйbut et а la fin du poиme, marque l'aspect cyclique de la progression, lui donnant cette allure inachevйe et caractйristique.

II/ L'ambiguпtй des sentiments

1/ Un sentiment d'angoisse

  • Ce qui domine dans les premiers vers comme dans les derniers, c'est un sentiment d'angoisse devant les hommes. D'un cÑ„tй « je », de l'autre « ils ». Si le pronom personnel « je » renvoie а un individu prйcis, ce n'est pas le cas du second. La puissance de « ils » semble йnorme puisqu'elle dйcide de la vie des homes, mais elle reste anonyme.
  • Les vers commenзant par « ils » interviennent dиs l'abord (v.1 et 3) puis plus loin (v.17 et 26) et tout а la fin (v.54). Ce pouvoir sans visage reste constamment prйsent dans les passages les plus sereins apparemment, intervient pour faire le mal, mais il est йtrangement absent lorsque ce qu'il a mis en branle se dйroule, comme si а ce moment-lа, tout йtant accompli, il n'y avait plus rie а craindre.

2/ L'amour de la nature

  • Mais au-delа de cette crainte, le poиme tйmoigne surtout de l'amour de la nature. Nous avons remarquй que les йlйments relevйs йtaient trиs simples. La maniиre dont l'auteur en parle montre l'extrкme attention qui leur est portйe. l'oiseau et puis sa plume avec sa couleur ; non pas le champ, mais le « brin d'herbe » c'est-а-dire la chose la plus banale, tellement qu'on ne la voit plus.
  • Encadrй entre deux pentasyllabes (v.13 et 15), le vers 14. « Une goutte de rosйe », plus long (heptasyllabe), йvoque un йlйment d'autant plus subtil qu'il est rapidement absorbй ; il est donc nйcessaire de le saisir par le regard juste au moment oщ il existe encore. Puis l'air, la lumiиre, le vent, l'essentiel de la crйation, ce qui anime la matiиre.
  • Repris aux vers 51 а 53, l'herbe, la rosйe et l'oiseau sonnent comme un refrain, avec l'assonance « bleu e – peu reu x « remarquable dans ce poиme qui se soucie peu des rиgles de la prosodie.
  • Cet attachement profond а la nature est donc original dans la mesure oщ le poиte ne dйcide pas а l'avance de ce qui lui paraоt digne d'кtre relevй et chantй, mais oщ il se penche sur tout ce qu'il y trouve de plus humble.

3/ L'amour de la vie

  • Ainsi s'expriment des sentiments qui ont pour point commun de recouvrir l'amour de la vie. Amour bafouй par les destructeurs, d'oщ cette angoisse, amour qu'il maintient en dйpit de tout, mкme de la mort.
  • Mкme privй de libertй, il s'attache au plus inquiйtant :

« Ces crochets de fer

Oщ s'attarde un peu de sang ».

  • De mкme, le poиte s'attache aux symboles de la captivitй. la planche, la paillasse, le chвlit.
  • Lorsque se prйsente le moment de l'exйcution, il englobe dans son amour tout ce qui va contribuer а sa mort, hommes et objets.
  • Le verbe « aimer » revient alors de plus en plus frйquemment comme s'il йtait certain malgrй tout de la supйrioritй absolue de la vie sur la mort.
  • Peut-кtre aussi ne veut-il pas que la mort envahisse avant l'heure sa conscience et pour cela il Ñ„te au cйrйmonial sa valeur symbolique du mal.
  • Pourtant, comme pour se dйfaire de l'йtau du malheur, il revient а des choses apaisantes а la fin du poиme.
  • Balancй entre cet amour et son angoisse, le poиte subit le pouvoir des « ils ». Ainsi se font face deux attitudes. la sienne faite de tendresse et d'humilitй, la « leur », toute de violence.
  • Cette derniиre est omniprйsente, c'est elle qui motive sa peur. Violence contre la nature. « Ils cassent le monde
    En petits morceaux. » qui met en cause les sources mкme de la vie.
  • Sont ainsi reprйsentйes toutes les forces d'agression, qui dйcident, tranchent, finalement dйtruisent sans rien demander а personne, sans tenir compte de l'existence des autres. Violence caractйristique du monde moderne qui se sait en йtat de se dйtruire. Mais aussi rйvoltante est la tyrannie sur les hommes, ballottйs, dirigйs, supprimйs sans qu'ils sachent pourquoi.
  • Boris Vian nous a habituйs а ses chants en faveur de la libertй et de la vie comme а ses йcrits de rйvolte contre la force brutale. Mais jamais peut-кtre les deux n'ont йtй aussi imbriquйs et avec une telle subtilitй et une telle profondeur.
  • Ainsi ce poиme laisse au lecteur une impression confuse oщ se mкlent des sentiments divers et lui permet une grande libertй d'interprйtation. C'est sans doute lа que rйside sa plus forte puissance poйtique.

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